Manifesto

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Note d'intention de Jean Lassègue à la constitution du groupe (avril 2007)

Coup d'envoi

Une société, pour exister et avoir, à travers les générations, un passé et un avenir, doit se doter d’une représentation d’elle-même dans des symboles, des langues, des rituels et des lieux ; ils ont par eux-mêmes un impact sur les individus qui les font, en retour, évoluer. La question de la nature de ces formes a toujours fait l’objet d’intenses débats, qui sont le propre de la culture : loin de faire l’unanimité, ces formes, une fois qu’elles existent et sont reconnues, permettent au contraire de cristalliser les points de vue opposés en les rendant apparents. Les débats se diffractent alors en de multiples champs : politiques, théologiques, techniques, scientifiques, moraux ou esthétiques. Une question leur est transversale : comment faire en sorte que les attentions individuelles soient dirigées vers des formes partagées et que la société devienne possible ? Comment rendre visible ce qui fait communauté, à un moment donné du temps, pour que puissent s’y exprimer des points de vue divers ? D’un point de vue très général, on peut envisager la réponse à cette question comme une articulation, toujours à recommencer, entre le visible et l’invisible, de telle sorte que l’attention collective permette aux individus de se reconnaître dans ces formes.

Plusieurs thèmes peuvent servir de piste de départ, que l’on peut présenter sous forme de questions :

La civilité, les mœurs : quelles pratiques collectives permettraient aujourd’hui de renouveler l’encadrement implicite des conduites ?

L’éthique de la loi : qu’est-ce qui fait autorité ? Où se situe l’unanimité, pensée à partir de quelles normes ?

La pratique administrative : les États contemporains sont bornés par des entités transnationales ou multinationales, entreprises comme ONG, et sont confrontés, eux, à la gestion de situations locales. Il leur incombe de maintenir une communauté et sa cohérence par le biais d’une administration. De quelle pratique administrative a-t-on besoin pour que l’Etat joue son rôle de garant des temps et des espaces propres à la communauté ?

Le patri-linéaire et le matri-linéaire : dans le cadre de la parenté où s’articulent alliance et filiation, des changements considérables se font jour. Ne vit-on pas en ce moment un passage du patri-linéaire au matri-linéaire ? La famille recomposée n’exemplifie-t-elle pas une filiation de cette sorte où les mères sont susceptibles de changer de conjoints mais maintiennent généralement les enfants dans leurs foyers ? Qu’est-ce qu’un « mariage » aujourd’hui, vu les formes diverses d’alliance que l’Etat institue ?

L’image : depuis Byzance, la question de ce sur quoi porte l’attention collective a eu l’image pour enjeu. Quels sont donc aujourd’hui les objets que l’on constitue dans un regard collectif et qui, en cristallisant l’attention commune, auto-fondent notre communauté politique ? Le déferlement des images institue-t-il une vision commune ?

Influences d’Asie : le corps spirituel : qu’y a-t-il dans la spiritualité d’Asie qui sert de répondant à ce que l’on considère comme un trop-plein occidental de rationalité ? Comment interpréter cette crise du sensible ? Pourquoi l’émotion emprunte-t-elle aujourd’hui une forme civilisationnelle ?

Répondre à ces questions permettrait de mieux localiser les ressorts créatifs à l’œuvre dans la société.

Une dernière remarque : la littérature de la Renaissance – du Rabelais de l’abbaye de Thélème au Boccace du Decameron en passant par le Thomas More d’Utopia – imagine des scènes où un groupe d’individus retiré du monde se prend à imaginer d’autres formes sociales. Tentons une expérience de pensée : quels seraient aujourd’hui, pour nous, les objets esthétiques que nous serions capables d’imaginer pour demain, capables de cristalliser les dynamiques si opaques de notre destin pourtant commun ?